Guerriers

Guerriers de l’Imaginaire

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Icônes créoles | Thierry Lo-Shung-Line Imagineur

J’essaye de projeter mon imaginaire, en tout cas de le libérer des anciennes structurations pour le projeter le plus loin possible en inscrivant une poétique ou un art de mon existence, parce que je crois que si on parvient à vivre cet art de l’existence et si on parvient à rayonner avec, c’est cela même qui va constituer tout naturellement des processus de mise en politique. […]

Et nous avons à nous construire individuellement, c’est ce que fait le guerrier : il se construit de manière individuelle dans un champ ouvert qui est celui de l’imaginaire.

Son champ de bataille, c’est le champ de l’imaginaire de la diversité. Et sur l’imaginaire de la diversité, à ce moment là, il n’y a aucun opposant, il n’y a pas de guerre à mener, il n’y a que des victoires à trouver.

Entretien avec Patrick Chamoiseau, par Abdellatif Chaouite réalisé lors de l’action « Faire monde avec l’Autre ».

Le guerrier

C’est l’une des tâches du guerrier de l’imaginaire : relier. Toujours trouver le lien, toujours trouver la jonction, même et surtout entre ce qui paraît incompatible et opposé. Trouver comment articuler des processus relationnels, des processus de négociation, des processus de respect et de reconnaissance. Et entrer par là dans des processus d’émergences. […]

L’émergence c’est des jaillissements d’inattendus, des jaillissements d’imprévisibles qui ne nous effraient plus. Et c’est l’imaginaire de la diversité qui nous permet de supporter l’apparition de l’impensable et de l’imprévisible et de se dire plutôt qu’est-ce qu’on peut en faire, comment on peut relier cela à ce qui existe et comment on peut continuer d’avancer.

Ce qui distingue donc le rebelle du guerrier, c’est que le guerrier sait que le problème n’est pas de renverser les termes d’une domination mais de faire en sorte que toute domination soit désormais impossible et ne trouve plus d’oxygène. Une langue qui domine une autre, on s’y oppose non pas en renversant celle qui domine et en mettant à sa place celle qui était dominée mais en transmettant à nos enfants, et à nous même si c’est possible, un imaginaire multilingue qui nous rendrait amoureux, de manière aussi bien fantasmatique que concrète, de toutes les langues du monde. Cela change tout.

Et l’imaginaire multilingue, pour rester dans ce champ, est important, parce que ce n’est pas parce qu’on est polyglotte qu’on a un imaginaire. On peut être polyglotte et traiter les langues comme des objets côte à côte. L’imaginaire polyglotte, c’est cette espèce de poétique ou cet art de vie qui nous permet, dans cet immense chatoiement de langues, de cultures, etc. d’être disponible, de capter ce qui nous convient, d’aller, avec des élans d’amour, vers ce que nous pouvons récupérer pour nous construire nous-mêmes.

P.Chamoiseau – Résister / Exister, Écarts d’identité.

L'imaginaire

Ce que j’appelle l’imaginaire, c’est la conception que nous nous faisons de nous-mêmes et qui est presque non formulée, presque naturelle, qui va au-delà de l’imagination et qui détermine notre savoir-être, notre savoir faire, notre vouloir-être, nos actions, notre sens du juste, du beau, du bien, du mal, tout ce qui fait les points de relations que nous pouvons avoir avec nous mêmes, avec les autres et avec le monde. Je dirais que l’imaginaire, c’est ce faisceau de relations fait de solidarités, de responsabilités, d’amour, d’envie, de justice, de désir personnel, d’envie de vivre pour soi, de vivre avec et pour les autres, etc.

Toutes ces notions qui font la complexité humaine constituent un cadre mental, presque un liquide amniotique de l’individu, et déterminent son action. Donc, si nous parvenons à sortir de l’imaginaire monolithique de la racine unique et que nous rentrons dans une perspective où les choses sont devenues complexes, on s’aperçoit que l’imaginaire monolithique doit céder la place, dans les espaces complexes qui sont les nôtres, à un imaginaire de la diversité, à un imaginaire avec, comme le dit Glissant, une racine rhizomique, selon ce fameux concept que Deleuze nous a proposé.

P.Chamoiseau – Résister / Exister, Écarts d’identité.

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